Entretien avec Elisabeth Young, présidente de WAVE Les Elles de l’Auto
Pour sa 90e édition, le Salon mondial de l’Auto 2024, à Paris, a attiré plus de 500 000 visiteurs, dont une majorité d’hommes. Mais pour la première fois cette année, l’association Women and Vehicules in Europe (WAVE), qui promeut la mixité dans la filière, en était l’un des partenaires officiels. Entretien avec sa présidente, Elisabeth Young.
L’automobile est, aujourd’hui encore, un secteur très masculin. Dans les services, seulement 22 % des salariés sont des femmes – un taux de féminisation plus faible encore que dans le secteur industriel où, avec 32 %, il reste en déficit d’effectifs féminins. D’autant que les postes qualifiés de mécaniciens, carrossiers, peintres… sont souvent occupés par les salariés masculins, alors que les femmes sont majoritairement affectées à des postes administratifs de secrétariat, comptabilité ou vente non spécialisée…
» En dix-sept ans, la part des femmes salariées dans l’industrie automobile est passée de 8% à 25% en 2024. » Elisabeth Young
Pénurie de talents et manque d’attractivité restent les principaux freins à la diversité, selon l’association WAVE – Les Elles de l’Auto. Des freins que l’on observe dès l’enseignement supérieur – les filières « moteurs et mécanique automobile » comptent 98,2% de garçons. Les femmes ne sont correctement représentées que dans deux filières principales : l’enseignement de la conduite (52,8% des formés sont des femmes), et dans la filière commerce & services (16,6% des formés). Dans les autres secteurs de formation, elles ne représentent qu’une part infime des apprenants : 3,3% en maintenance véhicules particuliers, 4% en carrosserie…
Environ 33% des entreprises admettent que la résistance culturelle aussi reste un frein, tandis que la discrimination inconsciente est toujours un problème chez 38% des entreprises. Ainsi la volonté managériale peut-elle se heurter au manque de vivier féminin dans les métiers techniques et scientifiques, alimentant un cercle vicieux entre la faible représentation initiale et la pénurie de ressources.
Et pourtant, le très masculin secteur de l’automobile tend à évoluer, comme le confie à Terriennes Elisabeth Young, présidente de l’association Women and Vehicules in Europe (WAVE).
Entretien avec Elisabeth Young
Terriennes : Pourquoi avoir créé l’association WAVE – Les Elles de l’Auto ?
Elisabeth Young : Avec Florence Lagarde, sa cofondatrice et directrice associée du média AutoActu.com, nous avons eu un déclic lorsque, à une réunion professionnelle automobile, nous avons constaté que, sur environ 200 personnes, nous étions seulement quatre femmes. Si nous ne nous engagions pas, les hommes ne le feraient pas à notre place. Alors en 2008, nous avons créé l’association afin de promouvoir la mixité dans le secteur. Avec la ferme intention d’intégrer les hommes dans le processus, d’abord parce que c’est eux qui ont souvent le pouvoir dans l’automobile, ensuite parce qu’ils peuvent avoir une influence sur leur entourage proche. Des femmes me témoignent souvent : « Je voulais travailler dans l’automobile mais on m’en a dissuadée. On m’a dit que c’était pour les garçons. » Il faut changer cette vision stéréotypée. Et WAVE contribue à faire connaître et promouvoir auprès des femmes la grande variété des métiers du secteur.
Depuis 2008, constatez-vous des améliorations en matière de mixité dans l’automobile ? Des freins persistent-ils ?
En dix-sept ans, la part des femmes salariées dans l’industrie automobile est passée de 8% à 25% en 2024, selon une étude coréalisée par WAVE. Nous souhaiterions atteindre au moins un tiers de femmes dans la filière. Mais il y a du progrès. Le fait que l’association soit partenaire du Salon de l’Auto 2024 prouve que les mentalités changent. Cette année, les hôtes sont aussi nombreux que les hôtesses qui sont là pour renseigner ou conseiller les visiteurs concernant une voiture. Il n’y a pas si longtemps, les femmes étaient potiches sur les capots, forcées d’être aguicheuses, pour donner envie aux hommes de regarder les voitures. A la télé, les femmes sont aussi davantage utilisatrices de véhicules que des faire-valoir. Dans les publicités, il y a plus de conductrices que de conducteurs, selon un rapport de l’Arcom, régulateur des médias, publié en 2023. Néanmoins, il reste encore des stéréotypes qui n’ont pas peur d’être mis en avant. Cette année, sur le Salon, j’ai rencontré une jeune fille qui n’a pas trouvé de stage en carrosserie parce que des entreprises lui ont affirmé « ne pas avoir de vestiaire féminin » ou « qu’elle pourrait déconcentrer les garçons ». Cela a de quoi décourager, mais nous militons pour que les filles s’accrochent à leur ambition professionnelle et à leur passion.
Comment convaincre les jeunes filles qu’elles aussi ont une place à prendre, à tous les niveaux ?
Le secteur de l’automobile est en constante évolution, il se doit de refléter l’ensemble de la société. Chez WAVE, nous mettons en avant les bienfaits de la mixité qui est synonyme de performance économique accrue. Les entreprises l’ont bien compris et c’est l’une des raisons pour laquelle elles veulent féminiser leurs équipes. Les femmes achètent aussi plus de voiture, se rendent chez les concessionnaires, les font réparer, etc. Elles ont une autre façon d’envisager les problématiques et apportent des solutions innovantes qui bénéficient au plus grand nombre. Nous devons, par exemple, à l’ingénieure suédoise, Astrid Linder, le premier mannequin de crash-test aux mensurations féminines. Jusqu’en 2023, les crash-tests étaient réalisés avec le même modèle, aux mensurations d’un homme moyen. Ce qui pose problème pour la sécurité des femmes puisque leur morphologie n’est pas prise en compte. Ingénieures, designeuses, directrice d’innovations, vendeuses ou journalistes automobiles, les femmes occupent tous les postes. WAVE organise des conférences ou des tables rondes pour mettre en avant la parole et le parcours de ces rôles-modèles afin qu’elles puissent en inspirer d’autres.
Dans l’histoire de l’automobile, les femmes ont toujours été présentes : en 1888, Bertha Benz réalise le premier voyage longue distance en automobile, prouvant la fiabilité du véhicule inventé par son mari, Karl Benz ; l’Américaine Mary Anderson est l’inventrice de l’essuie-glace ; la pilote française Michèle Mouton a cofondé le Trophée des Femmes en Rallye… Pourtant, la postérité n’a retenu que des noms d’hommes.
Ces dernières décennies, nous nous sommes habitués à ce que ce soit les hommes qui créent des voitures, qu’ils les façonnent dans les usines ou qu’ils sachent reconnaître rien qu’à l’oreille un modèle par le bruit de son moteur. Les hommes n’ont longtemps pas vu le fait de n’être qu’entre eux comme un problème. Aujourd’hui, ce sont les premiers à dire qu’il faut que les femmes reviennent dans l’industrie. De nombreux directeurs dans la filière travaillent à nos côtés pour les convaincre de postuler. Présentée au Salon cette année, la Renault 5 E-Tech 100% électrique, la version réinventée de la célèbre voiture de la marque et modèle parmi les plus vendus en France, a été désignée par une femme, Paula Fabregat. Nous sommes sur la bonne voie.
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