Salaires, partage des tâches, mixité des métiers : qu’est-ce qui a réellement changé depuis deux décennies en termes d’égalité femmes-hommes au travail ? A l’occasion des vingt ans du réseau MAGE*, nous avons interviewé sa fondatrice, Margaret Maruani, sociologue et directrice de recherche au CNRS sur le genre, afin d’y voir plus clair.
ELLE.fr. Depuis vingt ans, qu’est-ce qui a changé pour les femmes au travail ?
Margaret Maruani. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler. Elles représentaient 43,7% de la population active en 1990 contre 48% en 2015. C’est une avancée considérable. Elles font également carrière dans des domaines qui étaient réservés aux hommes, comme le journalisme ou la médecine par exemple. Mais l’égalité et la mixité ne sont pas réelles encore.
ELLE.fr. Justement, quels sont les principaux défis à relever pour atteindre l’égalité des sexes au travail ?
Margaret Maruani. Il faut d’abord en finir avec la surreprésentation des femmes parmi les métiers à faible valeur économique, peu qualifiés, à temps partiel ou même non déclarés. Ce sont toujours les femmes qui ont des « miettes d’emplois ». C’est-à-dire des emplois de quelques heures, sans aucune sécurité. Je pense aux caissières par exemple. Cela crée de la « pauvreté laborieuse » car il ne faut pas oublier qu’un temps partiel c’est un salaire partiel mais aussi une retraite partielle.
ELLE.fr. Comment évoluent les inégalités entre les femmes cadres et les autres ?
Margaret Maruani. L’écart se creuse. D’ailleurs, l’idée que la féminisation des instances dirigeantes va permettre l’amélioration des conditions des femmes au bas de l’échelle sociale est fausse. Les femmes précaires, présentes dans les familles de métiers peu valorisés ou celles qui occupent des emplois à temps partiel, sont toujours trop nombreuses et n’ont aucun pouvoir sur leur carrière.
ELLE.fr. Au-delà des problématiques économiques, les femmes sont-elles encore discriminées parce qu’elles sont femmes ?
Margaret Maruani. Oui, c’est l’autre défi majeur. On a tendance à relier les inégalités à la famille mais c’est faux. Le déroulement de carrière est différent selon le sexe, indépendamment des enfants car le diplôme d’une femme ne vaut toujours pas celui d’un homme. Il y a donc une discrimination pure et dure qui commence au premier emploi et non au premier enfant !
ELLE.fr. Constatez-vous une évolution significative du partage des tâches dans les couples depuis vingt ans ?
Margaret Maruani. Les chiffres ne le démontrent pas ! En trente ans, le temps domestique des femmes, qui comprend le ménage, les courses, le jardinage, le bricolage et le soin des enfants, a reculé d’une heure. Il reste de quatre heures par jour ! Les hommes, eux, n’ont augmenté leur participation aux tâches domestiques que de dix-sept minutes sur la même période ! Ils y consacrent quotidiennement moins de deux heures et demie.
ELLE.fr. Pensez-vous que la génération Y est plus égalitaire que ses parents ?
Margaret Maruani. Je ne suis pas sûre. Quand je parle à mes étudiants, je remarque qu’ils n’ont pas conscience de ce qui se passe après, dans le monde du travail. Ils observent autour d’eux que les filles et les garçons sont autant diplômés donc ils n’arrivent pas à s’imaginer les inégalités à venir.
* Fondé en 1995 par Margaret Maruani, le MAGE (Marché du travail et genre) est le premier groupement de recherche du CNRS dédié aux questions de genre.