Non seulement, les femmes sont plus diplômées que les hommes, mais au sein de leur couple, l’infériorité « académique », considérée au début du XXe siècle comme une norme, s’est inversée. C’est ce que montre une étude de l’INED, publiée le 12 avril 2016, qui s’intéresse au niveau de diplôme des conjoints lors de leur première union à partir de l’enquête rétrospective Etude de l’histoire familiale (Insee-INED, 1999).
Par Marine Miller
Son auteur, Milan Bouchet-Valat, sociologue et enseignant à Paris 8, explique que « les normes de féminité qui prévalaient jusque dans les années 1960 ont changé. Avant cette date, les hommes nés avant la deuxième guerre mondiale avaient tendance à considérer qu’une femme dotée d’un diplôme élevé pouvait sedésintéresser de la vie familiale ». Mécaniquement, ce modèle produisait l’exclusion des femmes diplômées du grand marché conjugal et, dans une moindre mesure, parce qu’ils étaient plus nombreux, les hommes non diplômés.
Chômage et massification de l’éducation
« Si le diplôme des femmes pouvait être perçu comme un signal négatif au sein des générations d’avant-guerre, un tel calcul a très clairement perdu en pertinence », poursuit l’auteur, qui explique : « Le développement du chômage, en augmentant l’incertitude attachée aux carrières masculines, rend particulièrement risquée la stratégie suivant laquelle l’homme aurait intérêt à se spécialiser dans l’activité professionnelle et la femme dans la sphère domestique. » Autres facteurs soulignés par l’INED : « L’élévation du niveau d’éducation des femmes, leur entrée massive sur le marché du travail, le développement de la contraception, et la fin de la tutelle du mari sur sa femme. » Les femmes étant de plus en plus nombreuses à faire des études, elles sont donc devenues impossibles à contourner sur ce que l’auteur appelle le « marché conjugal ».
Les écarts de salaire se maintiennent
Néanmoins, l’INED indique que l’arrivée des femmes diplômées sur le marché du travail n’abolit pas les inégalités salariales : « les femmes gagnent en moyenne toujours nettement moins que leur conjoint ». « Aux Etats-Unis cet écart peut atteindre 10 % quel que soit le secteur », confirme Anne Boring, économiste à SciencesPo. La grande école parisienne dont les diplômées sont en moyenne payées 30 % de moins que leurs homologues masculins un an après leur entrée sur le marché de l’emploi. Un écart persistant, à diplôme équivalent, dans de nombreux secteurs.
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Il est aggravé par le fait que les femmes sont plus souvent diplômées de filières moins rémunératrices : elles sont sous-représentées, dès le lycée, dans les filières scientifiques. Or même « un doctorat en lettres classiques n’a pas la même valeur sur le marché du travail qu’un master d’une grande école ou qu’un diplôme de bac+ 2 professionnalisant », rappelle Hélène Périvier.
Les perdants de cette grande évolution du marché conjugal sont pourtant les hommes non diplômés. Milan Bouchet-Valat relève qu’ils ont même de plus en plus de difficultés à être en couple, preuve de la persistance d’un modèle genré où le statut social de l’homme demeure prédominant.