Non, les femmes au pouvoir ne sont pas plus autoritaires que les hommes
Votre boss est autoritaire ? C’est peut-être une Queen Bee, ou Reine des abeilles, du nom de ce syndrome mis en lumière dans les années 1970. Ou c’est juste une femme victime de stéréotypes.

Le Diable s’habille en Prada, sorti il y a 10 ans, en avait fait sa trame. Miranda Prestly, campée par Meryl Streep, incarnait le stéréotype de ce que des scientifiques des années 70 avaient décrit comme la “Queen bee”, ou “Reine des abeilles” : une boss autoritaire qui, loin d’aider les femmes qui sont sous sa direction, a plutôt tendance à les empêcher d’être promues. Une image que l’on retrouve dans d’autres fictions, et qui résonne dans les discussions de couloir : “les femmes cheffes sont pires que les hommes”, “elles se crêpent le chignon”… Alors, stéréotype ou réalité ? Il y a quelques jours, le blog du programme Eve, dédié au leadership féminin, revenait sur ce concept qui fait l’objet de multiples (més)interprétations.

En 1974, trois scientifiques de l’Université du Michigan développent la théorie du “syndrome de la Reine des abeilles” : une femme qui accède à une position dominante dans un environnement de travail traditionnellement dominé par les hommes aurait tendance à freiner la progression des autres femmes. “Ce n’est pas un syndrome au sens clinique du terme”, précise Valérie Petit, psychologue sociale de formation :

“C’est une série d’hypothèses à propos de femmes en situation de pouvoir”.

Des études qui diffèrent

Mais la professeure de leadership à l’EDHEC reste prudente : il existe très peu de résultats empiriques qui viennent démontrer cette théorie. L’étude de 1974, contemporaine à la naissance de l’accès des femmes à des fonctions à responsabilités, n’a été que très peu réactualisée. Mais quelques études réalisées sur des panels moins larges et énumérées par le Wall Street Journal réaffirment ce phénomène : 40% des personnes harcelées au travail l’ont été par des femmes montre une étude de 2007 ; une autre de 2010 indique que dans 80% des cas, les femmes patronnes prennent pour cible des autres femmes. Mais une étude plus récente, réalisée en mars 2015, invalide ces hypothèses, en démontrant que les femmes sont plus propices à aider et soutenir leurs collègues ou subordonnées féminines que les hommes.

Difficile de déterminer si la Queen Bee relève du mythe ou de la réalité. “C’est la problématique des études, concède Sarah Saint-Michel, maître de conférences spécialiste des questions de genre, il faut contextualiser : certains secteurs, plus masculins, exacerbent certains comportements, d’autres sont plus neutres”. Coauteure avec Valérie Petit de Hommes, femmes, leadership : mode d’emploi, elle ne renie pas l’existence de Queen Bees ; mais d’après elle, ces comportements révèlent un malaise plus profond :

“Il s’agit davantage de comprendre les univers dans lesquels ces femmes évoluent : la culture très masculine, le poids des stéréotypes, induisent des biais de perception directement envers ces femmes”.

Des femmes qui adoptent des “codes masculins” dans des univers masculins

Dès 1974, les trois auteurs de l’étude le soulignent : le comportement de la Queen Bee s’explique “largement par le fait que la culture patriarcale au travail encourage le peu de femmes qui arrivent en haut de l’échelle à tout faire pour maintenir leur autorité”. Mais à l’époque, et encore aujourd’hui, on se focalise sur l’image d’une boss autoritaire, méchante, sans scrupule. “Je pense que les gens ont mal interprété nos propos”, regrettait il y a peu Jayratne, l’une des auteurs de l’étude, dans le magazine Today :

“Ce qu’ils ont omis, c’est le climat politique et sexiste qui est à l’origine de ce phénomène”.

Malgré une progression depuis les années 1970 et des chiffres toujours en hausse, les femmes restent sous-représentées dans les postes d’encadrement et de direction. En 2008, à peine un tiers des cadres des sociétés privées et semi-public sont des femmes, et elles représentent seulement 17% des dirigeants salariés d’entreprises (Eurostat). Pour accéder à ces postes majoritairement occupés par des hommes, beaucoup de femmes s’efforcent d’adopter des codes perçus comme “masculins”, qui caractérisent ce que l’on attend d’un bon leader : l’autorité, le charisme, la virilité… Pourquoi associe-t-on ces traits de caractère aux hommes ? “Cela tient à des stéréotypes véhiculés dans notre société depuis longtemps,décrypte Sandrine Redersdorff, enseignante-chercheuse en psychologie sociale et cognitive : on attend ces valeurs-là d’un homme, alors qu’on attend d’une femme qu’elle soit plutôt tournée vers les autres, douce, bienveillante…”. Arrivées au pouvoir, ces patronnes elles-mêmes gardent en tête les stéréotypes liées à leur propre sexe, et se montrent alors plus exigeantes envers leurs consœurs qu’envers les hommes, ces dernières étant cataloguées comme “moins compétentes”.

Un homme Queen Bee, on ne le remarque pas

Résultat : lorsqu’une femme, pour “coller au modèle valorisé”, explique Sarah Saint-Michel, se montre plutôt autoritaire, “elle transgresse ce que l’on attend d’elle. C’est exacerbé parce que c’est une femme, et parce qu’elle est souvent la seule femme” ; et c’est ainsi qu’elle devient une Queen Bee, “victime de ces stéréotypes”, insiste Sandrine Redersdorff. Pour les trois chercheuses, lorsque, au contraire, un homme a le comportement typique d’une “Reine des abeilles”, on ne le remarque pas : son comportement coïncide avec les stéréotypes d’un leader. Si c’est une femme, on y prête plus attention, car elle est isolée et ne répond pas aux attentes genrées. “Les femmes sont regardées comme des femmes alors que les hommes sont regardées comme des individus”, résume Valérie Petit. Pourtant, selon ses études, le comportement d’un homme leader ne diffère guère de celui d’une femme. Ce n’est donc pas un problème de genre en soi, mais un problème de perception.

“Lorsque l’on demande aux gens de nous décrire un manager qui leur donne envie de travailler, ils parlent de quelqu’un à l’écoute, qui les prend en considération : le sexe et l’âge n’entrent pas en compte”, poursuit la chercheuse. Pourtant, quand on leur demande de dépeindre le leader typique, cela reste un homme charismatique et autoritaire ; “on assiste à une schizophrénie entre les pratiques, qui évoluent, et les représentations, très conservatrices”, conclut-elle. Comment faire évoluer ces perceptions ? En cassant les stéréotypes, intégrés dès l’enfance. Mais aussi en repensant le modèle de leadership afin qu’il devienne plus neutre. Ce n’est pas parce qu’il est un homme qu’un directeur ne peut être à l’écoute de ses employés. Ce n’est pas parce qu’elle est une femme qu’une cadre doit être montrée du doigt lorsqu’elle reprend l’une de ses subordonnées. La féminisation du marché de l’emploi et des hauts postes font évoluer ces perceptions. En espérant que cette image de la Queen Bee reste un jour davantage derrière les écrans de cinéma que dans les couloirs des entreprises, et que les femmes au pouvoir puissent enfin assumer leur rôle sans complexer.

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